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TOUJOURS RIEN ! Pas de rentrée pour les étudiants d’Ukraine

tribune du réseau MEnS (Migrants dans l’Enseignement Supérieur), signée par l'ANdEA

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L’ANdEA est signataire de la tribune du réseau MEnS (Migrants dans l’Enseignement Supérieur), parue dans Le Monde le 24 juin 2022.
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La circulaire du 22 mars dernier avait permis de fonder tous les espoirs. À la suite des déclarations du Président Macron, le Ministère de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche et de l’Innovation (MESRI) y donnait un cadre à l’accueil des étudiants venus d’Ukraine dans nos universités et dans nos grandes écoles. Certes, il limitait cet accueil aux seuls bénéficiaires de la protection temporaire, en excluant dans une logique discriminatoire, dénoncée par de nombreuses universités et associations, les jeunes non ukrainiens que les universités ukrainiennes avaient choisi de former. Mais il garantissait aux autres l’accès aux droits sociaux, à un hébergement, à des aides financières du CROUS et à un soutien psychologique. Il mettait en ligne une plateforme ad hoc, gérée par Campus France, permettant de recenser les besoins des étudiants et de les orienter vers les formations les plus adéquates. Il incitait les établissements à faire preuve de souplesse dans les délais et dans les procédures d’inscription. Enfin, il précisait que, pour l’accueil et la formation de ces étudiants, « les établissements publics sous tutelle [du] MESRI qui auraient besoin d’une aide financière sont invités à le signaler au MESRI », laissant sous-entendre une contribution financière de l’État. Ce cadre a été repris par le Ministère de la Culture qui, pour les étudiants-artistes, y a ajouté un soutien exceptionnel de 300 000€, lequel peine toujours à être mobilisé.

Quelle est la situation trois mois plus tard, au moment où la planète fête la journée mondiale des réfugiés le 20 juin ? Rien, ou presque.

Les établissements du supérieur français sont certainement les mieux préparés d’Europe pour faire face à ce type de crise. Dès la vague migratoire de 2015, ils ont agi. Ils ont d’ailleurs été fortement encouragés par le MESRI, qui a mis sur pied, dès 2017, le programme PAUSE (Programme d’Accueil en Urgence des Scientifiques et artistes en Exil) lequel, à ce jour, a permis d’offrir à 335 chercheurs et 20 artistes étrangers des conditions d’exercice libres et décentes de leur métier. De cet élan est né le Réseau MEnS (Migrants dans l’Enseignement Supérieur). Il rassemble 52 universités et écoles qui ont voulu tirer les leçons de la crise syrienne et ont mis en place des formations dites « passerelle » d’un à deux ans, permettant aux jeunes en âge d’étudier d’obtenir une qualification. Cette qualification est un sésame qui leur donne la possibilité soit de s’intégrer en France, soit de contribuer aux efforts de reconstruction de leur pays d’origine. Au total, en 6 ans, ce sont près de 10 000 étudiants en exil qui sont sortis de ces formations passerelle. Si le gouvernement a soutenu ces formations, en abondant via l’AUF (Agence universitaire de la Francophonie) un programme d’aide doté d’environ 500k€ (dont 200k€ du MESRI), les établissements ont porté la partie la plus significative de l’effort, en finançant entre 50% et 80% de ces formations. C’est donc d’abord à l’action volontariste et au sens de la responsabilité sociétale de ses universités et grandes écoles que la France doit d’avoir offert un accès à l’enseignement supérieur à ces jeunes exilés. Pour autant, on est loin de l’objectif 15by30, fixé par les Nations unies, d’atteindre en 2030 15% de jeunes exilés au niveau universitaire. Ce sont à peine 5% en France et dans le monde. Et les récents conflits en Afghanistan et en Ukraine montrent hélas que nous ne prenons pas le chemin de cet objectif.

La victoire des Talibans en Afghanistan à l’été 2021 a mis en branle le monde de l’enseignement supérieur, qui s’est largement mobilisé pour pouvoir accueillir des étudiants et des chercheurs, militants des droits de l’homme, femmes qualifiées ou opposants au régime : autant de personnes qui n’avaient pas d’avenir dans leur pays et qui n’avaient d’autre solution que de refaire leur vie ailleurs. La France, pays des droits de l’homme, constituait pour eux une destination de choix. Pour beaucoup, ce fut la douche froide. Il aura fallu des mois de négociation et un engagement financier des établissements eux-mêmes (sous forme de bourses) pour que 39 étudiants, au total, intègrent des formations en France. 39 sur 1,7 million d’étudiants dans les universités françaises.
La guerre en Ukraine a mis sur les routes plus de 6 millions de personnes. Parmi elles, près de 700 étudiants ont posé leurs valises en France et ont demandé à s’inscrire dans nos universités. La circulaire du 22 mars devait leur offrir un boulevard. Au final, il n’en est rien : le MESRI, pour l’heure, ne s’est engagé sur aucune aide financière aux universités. Pourtant, les 700 étudiants sont, pour une très large majorité, non francophones. Ils n’ont d’autre choix, s’ils veulent reprendre des études et évoluer dans leur pays d’accueil, que d’apprendre le français. Or ces formations-passerelle ont un coût, qui se chiffre au minimum à 1 000€ par étudiant et par an. La réponse du MESRI est sans appel : il est impossible de dégager des crédits maintenant. Au mieux, à l’automne. Or s’il faut ouvrir de nouvelles places pour les étudiants d’Ukraine, c’est tout de suite. En octobre, ce sera trop tard. Cette réponse technocratique cache-t-elle un message subliminal, celui que la France ne veut pas accueillir les étudiants d’Ukraine ? Il est difficile d’interpréter cette réponse autrement.

Aujourd’hui, la France serait-elle le premier pays de l’UE à ne pas créer les conditions d’un accueil décent de ces jeunes dans ses universités, à l’heure où, en Allemagne, selon News Tank, 5 500 étudiants d’Ukraine vont passer des tests pour rentrer à l’université ?
Si le choix est de ne pas accueillir ces jeunes, que cela soit dit ! Et que le gouvernement ne repousse pas la responsabilité aux universités dont il est supposé que, sur leurs dotations de fonctionnement, elles soient en mesure d’assurer à elles seules la soi-disant politique d’hospitalité du gouvernement.

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